Un conflit aux racines complexes, une escalade prévisible

Le Soudan, carrefour géopolitique entre l’Afrique subsaharienne et le monde arabe, brûle en silence depuis près de deux ans. Ce qui a débuté en avril 2023 comme un affrontement entre l’armée régulière et les Forces de soutien rapide (FSR) – une milice devenue acteur incontournable – s’est mué en une guerre totale. Derrière les rivalités entre généraux se cachent des enjeux bien plus sombres : contrôle des mines d’or du Darfour, accès aux ports de la mer Rouge, et une lutte d’influence régionale où se mêlent Émirats arabes unis, Russie et Iran.
Le Darfour, région martyre depuis le génocide des années 2000, est redevenu l’épicentre des violences. Les FSR, héritières des milices janjawid, y imposent une terreur méthodique. Les témoignages recueillis auprès de réfugiés au Tchad décrivent des villages incendiés, des violences sexuelles systématiques et un nettoyage ethnique ciblant les populations Massalit et Zaghawa.
Zamzam, symbole d’un désastre annoncé
À quelques kilomètres de El Fasher, capitale du Nord-Darfour, le camp de Zamzam résume à lui seul l’effondrement. Peuplé de centaines de milliers de déplacés, il a basculé dans la famine fin 2024. « Les enfants meurent en silence. On mange des feuilles et de la terre », confie Ibrahim, rencontré à l’hôpital de Adré (Tchad), où des médecins sans frontières tentent l’impossible.
Les rares organisations présentes sur place évoquent un cauchemar logistique : les routes coupées par les combats, les checkpoints des FSR exigeant des taxes exorbitantes, et des stocks de vivres pillés. Un responsable d’une ONG européenne, sous couvert d’anonymat, dénonce : « Les belligérants instrumentalisent la faim comme arme de guerre. À Zamzam, on laisse mourir pour assoir son contrôle territorial. »
Khartoum, capitale fantôme
La capitale offre un spectacle de désolation. Les quartiers généraux de l’armée, cernés par les FSR, sont pilonnés jour et nuit. Dans les ruines d’Omdourman, des civils survivent dans des caves, sous les tirs de drones. « Ils visent les marchés, les puits, tout ce qui permet de tenir », accuse Amal, une enseignante contactée via Signal. Son récit corrobore des images satellites montrant des impacts d’artillerie sur des écoles et des mosquées.
Les hôpitaux, quand ils fonctionnent, manquent de tout. À Wad Madani, dernière poche gouvernementale, un médecin décrit « des opérations à la lampe-torche, des antibiotiques rationnés, et des blessés par balles qu’on ampute faute de matériel ».
L’hypocrisie internationale
La communauté internationale, pourtant avertie, reste spectatrice. Les 6 milliards de dollars promis en 2025 tardent à arriver. « Les donateurs priorisent l’Ukraine et Gaza. Le Soudan n’est plus “tendance” », regrette une diplomate européenne à Nairobi.
Les divisions au Conseil de sécurité paralysent toute action. La Russie, proche des FSR via le groupe Wagner, bloque les sanctions. L’Égypte et l’Arabie saoudite, alliées de l’armée soudanaise, jouent double jeu : ils fournissent des armes tout en finançant timidement l’aide humanitaire.
Pendant ce temps, les voisins africains suffoquent. Le Tchad, déjà en crise économique, accueille 800 000 réfugiés. « Nos réserves d’eau sont à sec. Les tensions avec les locaux explosent », alerte Mahamat, chef d’un camp à l’est du pays.
Une société civile en résistance
Dans l’ombre, des réseaux s’organisent. À Port-Soudan, dernière ville épargnée, des jeunes ont créé « Nafeer » (« L’élan solidaire »), un système de collecte et de convoyage clandestin de médicaments vers le Darfour. « On utilise des pistes désertiques, des ânes parfois. Trois de nos volontaires ont été tués, mais on continue », explique Rania, cofondatrice du mouvement.
Des journalistes citoyens, malgré les risques, documentent les exactions. Leurs vidéos, postées sur des comptes anonymes, montrent des charniers à Geneina et des entrepôts de l’armée remplis de sacs de blé… périmés.
Vers une balkanisation ?
Les analystes redoutent le pire. « Les FSR veulent contrôler le Darfour riche en minerais, l’armée se retranche à l’Est. On se dirige vers une partition de facto », estime Dr. Khalid, chercheur soudanais exilé en Turquie. Ce scénario cauchemardesque ravive les vieux démons : au Sud-Kordofan, des milices ethniques reprennent les armes, tandis qu’à Kassala, des groupes proches d’Al-Qaïda profitent du chaos.
Conclusion : l’urgence d’un sursaut
Le Soudan s’enfonce dans l’abîme, mais rien n’est irréversible. Des pourparlers secrets, facilités par le Kenya, laissent entrevoir une possible trêve. Reste à savoir si les bailleurs cesseront de regarder ailleurs. Comme le résume un vieux proverbe soudanais : « Quand l’éléphant se bat, c’est l’herbe qui souffre. » Aujourd’hui, l’herbe, ce sont 48 millions d’âmes.