Les experts font l’hypothèse que les deux campagnes électorales de juin et octobre 2024 ont donné lieu à « certaines rhétoriques et postures (qui) ont alimenté ce désir de gouvernance autoritaire car certains candidats ont incarné une ‘énergie’ pouvant signifier : ‘avec moi, je vous protégerai et j’ai la force de changer les choses’. »
« Cela ne veut pas nécessairement dire que les gens veulent une dictature ou le fascisme, c’est juste qu’ils ont l’impression que si quelqu’un a le pouvoir, il va pouvoir régler les problèmes plus facilement« , développe Jérôme Van Ruychevelt, chargé d’analyse à la fondation « Ceci n’est pas une crise« .
Néanmoins, « certains partis politiques se sont adaptés à cette demande » de retribalisation de la société, estime l’analyste, « avec la logique de trouver des boucs émissaires, avec l’idée d’individualiser les problèmes sociétaux« . Il ne s’agit pas de penser la société comme complexe, ou multifactorielle, mais plutôt avec « une causalité directe » où le problème vient forcément d’un responsable. « Cela permet de diviser les populations qui vivent des difficultés et mène à une guerre des uns contre les autres : les travailleurs contre les chômeurs, les actifs contre les malades, les citoyens contre les personnes sans papiers, et ça empêche à ces groupes de se coaliser« , analyse Jérôme Van Ruychevelt.
« Cette frange de la population, dit encore le chercheur, montre des paramètres qui correspondent à des électeurs pour des partis comme le Rassemblement national en France ou l’AfD en Allemagne. Elle est prête à voter pour un parti d’extrême droite, elle le fait déjà en Flandre, mais ces chiffres montrent qu’on a aussi côté wallon une partie de la population qui pourrait voter pour un parti d’extrême droite structure. C’est probablement la raison pour laquelle certains partis se sont adaptés pour récupérer cet électorat dans le sud du pays.«
Les sociétés ouvertes
Face à la retribalisation, les experts de « Ceci n’est pas une crise » pointent les volontés de « sociétés ouvertes », qui rassemblent 19,3% des Belges, en légère progression par rapport à l’année dernière (18,2%), mais bien loin des 31,2% mesurés à la sortie des confinements en 2021.
Cette vision de la société est mesurée à travers cinq valeurs, là aussi mesurée dans un questionnaire :
- Gouvernance : le souhait d’une démocratie narrative qui implique les citoyens en permanence, combinaison de démocratie représentative et délibérative (panels citoyens, etc.).
- Bouc émissaire : le rejet de désignation de boucs émissaires, souhait d’une meilleure gestion de la diversité, respect des droits des minorités.
- Avenir valorisé : tourné vers l’avenir, les projections de refondation, la valorisation de l’idée d’une mutation sociétale profonde.
- Rhétorique : la valorisation de la raison, de la nuance, du discours scientifique, de la complexité, du pluralisme, et du débat contradictoire.
- Nation : la nation est un contrat entre citoyens rassemblés par des valeurs et projets. Une société ouverte, une solidarité universelle.
Toutes ces valeurs sont en baisse ces dernières années.